Mon meilleur souvenir de joueur
Après quelques jours de recul, cet événement a pris la première place de mes souvenirs de joueur ; un sentiment largement partagé, semble-t-il, tellement les témoignages des participants sont dithyrambiques.
Les remerciements chaleureux et émus ont déjà eu lieu sur place. Je renouvelle les miens pour tous, et en particulier :
- Adrien Martinot, directeur de la délégation Days of Wonder
- Arnaud Roy, ô grand organisateur !
- Jacques alias "Jdrommel" : concepteur des scénarios
- La Maison des Jeux de Touraine.
- Et tous les autres, staff, joueurs et joueuses, sans exception.
Extrait des rapports de bataille en ligne.
Fait remarquable : les trois langues cohabitent sur la même page.
Après cinq ans d’existence, un fort potentiel de croissance avait été identifié, mais il fallait concrétiser, en apporter la preuve en environnement réel. En particulier, les joueurs, les organisateurs et l'éditeur n'avaient jamais eu l'occasion de se rencontrer à cette échelle.
Première surprise
La première inconnue restait l’ambiance de la compétition. Après tout, on nous proposait de nous entre-déchirer autour d'un jeu guerrier, selon un système imposant beaucoup d’agressivité : contrairement aux parties « libres », il ne fallait pas seulement gagner les batailles, mais en plus marquer un maximum de médailles, c’est-à-dire tirer sur tout ce qui bouge, et même sur ce qui ne bouge pas, pour éliminer autant d’unités adverses que possible, au détriment de la défense. L’organisation nous mettait au pied du mur en nous demandant d'appliquer une stratégie d'extermination, à n’importe quel prix.
On était inquiet.
Mon premier adversaire,
Louis « lbouy », 300 parties à date.
Bizarre, il n’a pas l’air inquiet.
Premier match très violent, une victoire partout.
En résumé : un cadre exceptionnel, une ambiance exceptionnelle, une organisation exceptionnelle, et seuls quelques jets de dés décevants me laissent encore un arrière goût amer. D’ailleurs, tous les joueurs étaient unanimes et le doute plane toujours : les dés avaient-ils été testés ? :-)
Hasard et stratégie, toujours la même question (voir ici)…
Trêve de plaisanterie, le niveau de jeu pendant l’Open restait lui aussi une inconnue. On a mis des décennies à admettre que des joueurs de poker pouvaient afficher des niveaux objectivement différents. Qu’en était-il de Mémoire 44, ce système où les mouvements sont soumis à des tirages de cartes et les combats à des tirages de dés ?
Nous avons eu la réponse, pressentie mais encore incertaine : les joueurs expérimentés ont obtenu les meilleurs résultats, sans appel, jusqu’à la finale. Ce n’était pas forcément les plus âgés, répliquerait à juste titre Christophe Épiais, 4ème du tournoi, père de Matthieu (12 ans), 12ème et d’Aurélien (9 ans !). Néanmoins, personne ne s’est plaint du tirage des rounds et des adversaires, où réside la véritable part de hasard. Pour tout le monde, des matches plutôt « faciles » ont alterné avec des chocs brutaux contre un ou plusieurs experts passionnés. Ces rencontres sont révélatrices : préparons-nous surtout à des opens futurs où il sera de plus en plus difficile d’enchaîner les victoires aller ET retour contre le même adversaire. Le score presque parfait de 9 victoires sur 10 atteint par les deux finalistes – mesurez bien la performance ! – sera de plus en plus inaccessible, et sur tel nombre de parties, le rôle du hasard reprendra vite la modeste place qui lui revient.
Le team Praxeo
La délégation Praxeo a fait un résultat correct, sans plus. Mais que de plaisir !
Russie, morne plaine. Net et sans bavure.
La finale, deuxième grosse surprise
Deux joueurs se sont nettement détachés :
- Le manceau François Gonçalves, alias Hawkmoon Von Köln, pionnier de la communauté francophone et hyperactif sur le forum, affiche à la fin des 10 parties de poule 9 victoires, 61 points sur 62 possibles, soit 98.4% du score max. Absolument incroyable.
- Venu de Belgique, son challenger charismatique Mehdi Mrakha est tout aussi impressionnant avec 9 victoires et 60 points, une performance remarquable de 96,8%.
La véritable surprise de cette finale, assurément la plus spectaculaire, c'est le professionnalisme de la mise en scène. Les photos se passent de commentaires. Et il y aussi le choix du scénario : l’offensive américaine vers Cherbourg en juin 1944 – du bocage pur sucre, compliqué par des rivières et d’imposants reliefs en prime (accessoirement, c’est ma région natale). Il fait peur, presque autant aux spectateurs qu’aux finalistes.
Mehdi vs Hawkmoon – photo Arnaud Pirois
Grandiose ! – photo Stavros Gessis
Un décor qui n’a rien à envier aux événements les plus prestigieux, comme un tournoi d'échecs à Linarès ou un Ryûô Sen de Shogi à Paris (Voir ici). Toutefois, les images ne permettent pas de retranscrire l’ambiance sonore. Écoutez plutôt :
– Aaah! Ooooh! du public, après un bon vieux tir de grenade bien moulu de Mehdi sur l'artillerie adverse.
– Bravo, bravo ! (applause) après une percée de blindés d'Hawkmoon très agressive, audacieuse, mais réussie.
La piste de dés projetée sur deux mètres carrés de mur de la chapelle gothique assurait le suspens. Arbitrage par Antoine (DOW), commentaires en direct par Arnaud : points de règle, choix des mouvements, résultats des combats, et quelques tentatives d’interprétation de la stratégie des protagonistes : « François joue une reconnaissance pour bénéficier du choix de deux cartes dans la pioche. Ah non ! Il me fait signe qu’il l’utilise comme attaque aérienne ». Encore une règle spéciale à ne pas oublier. Rires… Encore et toujours, une ambiance de compétition à la fois sérieuse et bon enfant ; les spectateurs sont détendus, les finalistes s’adressent directement à eux (à nous), manifestent ouvertement leur joie des bons coups, et intériorisent dignement des revers parfois douloureux. On les sent tendus et l’exubérance de Mehdi dans les poules a fait place à un joueur prudent, posé et consciencieux. Ça bout à l’intérieur, ça ne se voit pas, mais ça se sent. François « Hawkmoon » est égal à lui-même, sympa et brutal, l’archétype et digne représentant du joueur de M44, avec une première victoire rapide supposée exemplaire, jusqu’au moment où le vent tourne : l’angoisse s’installe à 0-4 (sur 7) dans le match retour. Une angoisse immédiatement captée par le public.
Le résultat est sans appel :
- Hawkmoon (alliés) contre Mehdi (axe) : 7-4 en un temps record
- Hawkmoon (axe) contre Mehdi (alliés) : 0-7 !
(une partie dont l'étude aller-retour figurera au programme officiel dans les écoles de Mémoire 44, dans quelques années. Ben quoi ? Il y a bien des écoles de poker...)
Ces joueurs qui, contre les meilleurs, ont connu des parties parfois serrées (Mehdi se qualifie pour la finale après une double victoire très violente 6-5 6-5 au Fort de Clairvaux contre le sparing partner de Jdrommel, tout de même !), ont été confrontés à un scénario particulièrement complexe sur une carte vraiment difficile à lire. On n'avait jamais vu ça. Devant les deux parties, aller et retour, les spectateurs ont pris une leçon de tactique, de stratégie, et d'humilité : nous avons assisté à une démonstration de haut niveau.
Mehdi vs Hawkmoon – Photo FFM44
Arnaud Roy et Alexis Beuve
T’as assuré, mon pote !
Bonus Praxeo
L’aventure commence maintenant
- Projection d'un Open de France 2010 (international) quelque part en Normandie, pas loin des plages du débarquement…
- Création prévue d'une fédération de Mémoire 44.
Le Devoir de Mémoire
De mon humble avis de wargamer, Mémoire 44 n’est plus un jeu de société, c’est désormais un jeu d’Histoire à part entière (i.e. wargame avec figurines, même si les règles restent relativement simples). Incontestablement, Mémoire 44 est rentré dans la cour des grands et j’espère qu’il sera maintenant relayé en tant que tel par Vae Victis, le périodique de référence sur ce thème. S’il fallait insister, rappelons que la création du jeu en 2004 était motivée par le Devoir de mémoire, et commanditée par la Mission du 60ème anniversaire des Débarquements et de la Libération de la France. Mission accomplie.
Cinq ans plus tard, au moment où les bons jeux entament habituellement une période de déclin, l’objectif est atteint et l'aventure ne fait que commencer. C'est une bonne chose que l'étincelle soit venue de France… et de Belgique (rappelons que l'auteur Richard Borg est américain, et la communauté anglo-saxonne nettement plus vaste que la nôtre).
Avec beaucoup de précautions, je pense que le Devoir de mémoire, à l'échelle de ce qu'il peut être dans un cadre ludique, ne fait que commencer.
Plus d’info :
- Plein de photos de l’Open de France 2009
- Le site Days of Wonder, page d’accueil M44
- Le témoignage des joueurs, sur le forum M44 français
- La page perso de jdrommel (avec tous ses scénarios)
- Article de presse M44 dans La Nouvelle République (Tours)
Participants ou pas, de nombreux joueurs souhaiteront revivre l'Open à la maison, y compris la finale, bien sûr, dont voici les six scénarios. Aller-retour obligatoire.
- [A-5518] Front ouest, Camel blue, Provence 1944
- [B-5519] Front est, Contre-attaque à Sverchkovo, Moscou 1941
- [C-5520] Pacifique, Carrefour de la Piva, îles Salomon 1943
- [D-5522] Méditerranée, Brèche d’Antelat, Cyrénaïque 1942
- [E-5523] Front ouest Fort Alamo à Clairvaux, Champagne 1944
- [F-5521] Front ouest, Combat pour la cote 178, Manche 1944 (finale)
Articles Mémoire 44
- Mémoire 44, le nouveau "grand classique" ? [avril 2009]
- Les Tigres - étude technique [avril 2009]
- Open de France 11-12 avril 2009 [avril 2009]
- Le 6 juin, Mémoire 44 débarque chez Docteur Stratagème [mai 2009]
Alexis Beuve
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